Vendredi, 7 mai
Merveilleux endroit que notre hôtel, l’Astor House où une foule de personnages célèbres ont séjourné (Einstein, Russel, Malraux et autres…) Nous avons été surclassés dans une chambre de célébrité, soit celle de Marconi. On s’en balancerait si ce n’était que nous bénéficions ainsi d’une magnifique suite victorienne avec des décorations et bibelots chinois de grande valeur. Vive Marconi !!!
Nous avons visité le Bund, bordé de magnifiques édifices du début XXème siècle, face à la ville futuriste impressionnante de l’autre côté de la rivière Huangpu. Et la concession française…
Là, c’est vrai qu’il y a de larges avenues bordées de magnifiques platanes et des boutiques et resto hors-prix; pour le reste, je ne comprends pas qu’on fasse tout un plat dans les guides pour ce quartier. Nous ne sommes pas venus en Chine pour voir les quartiers coloniaux occidentaux. Mais peut-être est-ce une illusion de l’impérialisme culturel européen.
Samedi, 8 mai
Nous sommes allés prendre l’autobus pour un petit village de pêcheurs et de canaux datant de 1086, et les principales maisons d’entre 1300 et 1640, Zhouzhuang. Mais n’eût-été de Me Pepin, nous serions demeurés à Shanghai; après une heure de marche et de métro pour aller au terminus à l’autre bout de la mégalopole, nous nous faisons demander nos passeports pour acheter des billets d’autobus pour une destination hors-Shanghai, à moins que le guide que nous ne prenons jamais ne vienne acheter nos billets. Malheureusement, nous avons l’habitude de les laisser en sécurité à l’hôtel, d’autant plus qu’on nous les demande qu’aux aéroports et dans les hôtels.
Alors que je suis prêt à faire mon deuil de la ballade, Me Pepin balaie l’air de la manche de sa toge et crie à l’iniquité d’une telle demande, puisqu’on n’exige qu’une carte d’identité aux touristes chinois qui font la queue comme nous. Et elle sort son permis de conduire en disant à la préposée qu’elle devrait s’en contenter; cette dernière, décontenancée, me demande mon âge puisqu’il y a une réduction pour les vieux de plus de soixante ans (en fait, je l’ai trouvée très gentille de me le demander plutôt que de le déduire !). Évidemment, je ne peux lui présenter mon permis de conduire qui a disparu avec mon portefeuille aux mains du pickpocket de Kunming. Alors, radieuse, la jeune préposée se venge, disant que je n’aurai pas droit à la réduction et nous tend les billets. Puis-je vous dire que Me Pepin a accepté avec sérénité la sentence…
Pour revenir au village de Zhouzhuang, il était superbe avec de petits canaux, de magnifiques demeures et de vieux ponts en dos d’âne. On aurait dit Bruges, pour la température aussi d’ailleurs car il a beaucoup plu. La différence est qu’il n’y a certes pas autant de touristes chinois qui se font photographier partout dans toutes les pauses inimaginables. C’est une constante; j’en ai même vu se faire photographier devant un pylône… Les japonais sont réservés en comparaison sur ce point, même si dans les deux cas ils visitent presque toujours en groupes nombreux et serrés.
Dimanche, 9 mai
L’Expo de Shanghai. Nous nous payons le taxi pour y aller; il pleut beaucoup. Mais ce n’est pas important, car nous espérons revivre un peu la magie de 1967. D’ailleurs les Shanghaiens sont aussi fiers de recevoir le monde entier et de leur Expo que nous l’étions alors.
Malgré la pluie froide, nous nous sommes fixés un programme pour ce premier des trois jours que nous comptons consacrer à l’expo; d’ailleurs j’ai acheté les billets à prix réduit en prévente en janvier dernier. Nous visiterons aujourd’hui les pavillons des pays européens et américains.
Un résumé :
· Les USA, architecture extérieure assez banale : après une courte introduction humoristique, un petit film insignifiant à l’eau de rose sur le thème de l’expo (better city, better life…), soit l’environnement. Et une présentation supposément scientifique avec une logue intro d’Hilary et une longue conclusion de Barrack, toutes aussi insignifiantes l’une que l’autre. Deux auditoriums, et une boutique de souvenirs…
· Le Brésil : une architecture navrante, et un petit film sur le foot et le festival de Rio… Un peu d’environnement dans de petits kiosques, entre autres pour souligner le fait que le Brésil lutte très fort contre la déforestation !!!
· L’Italie : magnifique pavillon avec des reproductions d’un arc de triomphe et d’autres ruines romaines. Mais des murs d’objets de design italien : chaussures, chaises, etc… Pas un mot sur l’environnement si ce n’est sans doute la présence d’une Ferrari et d’une Lamborghini, sans doute les marques d’auto les plus environnementalistes de la planète, dans la mesure où très peu d’exemplaires existent ! Mais superbe sculpture à l’extérieur, don à la ville de Shanghai pour souligner les voyages de Marco Polo et la rencontre Orient-Occident.
· La France : pavillon d’une architecture quelconque, peu original, mais une atmosphère décrivant bien la vie en ville et quelques belles œuvres d’art.
· Le Canada : très beau pavillon de cèdre rouge et d’aluminium, une présentation originale et active par le Cirque du Soleil… Des clowns sur le thème de l’environnement qui sont très appréciés. D’ailleurs, un des dix pavillons les plus courus…
· L’Espagne : magnifique et très vivant à tous les points de vue. Le meilleur de la journée.
Mais nous quittons un peu déçus, à la fois des pavillons et du site sous la pluie. Et nous ne savons même pas si nous pourrons voir le pavillon de la Chine lors de notre prochaine visite, car il faut des billets que nous pouvons obtenir le matin à l’ouverture, selon l’affluence.
Lundi, 10 mai
Il fait beau. Nous visitons la vieille chinoise et les jardins Yu. La vieille ville a été complètement rénovée à la chinoise, c’est à dire rasée en grande partie et refaite à neuf. Pleine de boutiques et de restos, mais endroit agréable, vivant, pleins de touristes (à 95% chinois) et même d’une architecture chinoise. Et nous y magasinons du thé… On a beau être en Chine, le thé c’est comme le vin : il y a des grands crus et des Châteaux Lafitte ou autre à fort prix…
Les jardins Yu sont une merveille, les plus beaux que nous n’ayons jamais vus : petits pavillons, plans d’eau, cascades, rochers multiformes, fleurs de toutes les espèces, une splendeur délicate… Nous y sommes devenus propriétaire d’une magnifique peinture chinoise traditionnelle dans une boutique chic aux prix conséquents.
J’ai finalement attrapé un rhume qui nous force à écourter un peu cette journée. Nous faisons de très bonnes nuits, mais sommes souvent épuisés à la fin des journées.
Mardi, 11 12 11 mai
Retour à l’expo. Nous arrivons aux guichets à 8 :15 heures avec la navette gratuite de l’hôtel, mais devons patienter jusqu’à 9 :00 sous un soleil qui tape déjà un peu. Et nous obtenons nos laissez-passer pour le pavillon chinois en début d’après-midi.
Au programme : l’Afrique et l’Asie. Mais en nous rendant vers le pavillon principal des pays africains, nous nous arrêtons à celui de l’Angleterre qui, gros cube hérissé de grandes baguettes de fibre optique, à l’air d’une brosse pour récurer les cuvettes des W.C.. L’intérieur est vide, composé de l’autre extrémité des baguettes de fibre optique avec une graine d’une semence quelconque à la naissance de chaque fibre, donnant au tout un éclairage « naturel ». Quelques petits lierres grimpant minuscules à l’extérieur, pas un écriteau ni un mot : ou bien je ne comprends pas, ou bien cette sculpture vide anglaise atteint un niveau d’abstraction et de symbolisme qui dépasse ma faible culture. Ou ce pavillon est insignifiant, ou je suis un peu demeuré; je suis prêt à donner une chance à la vénérable Albion…
Et nous nous rabattons sur l’Afrique, dont les kiosques de la plupart des pays sub-sahariens sont situés dans un immense hangar fourni par la Chine. Malgré l’aide de celle-ci, assez pitoyable ce pavillon; même pas de bons kiosques d’information touristique. Et le Bénin qui n’a pas daigné venir occuper son kiosque vide monté par la Chine…
Et l’immense mais quelconque pavillon de l’Afrique du Sud qui ne nous parle que de la prochaine Coupe du monde qui y sera disputée.
Et l’espace immense tout autour des pavillons qui a l’air vide et peu animé…
Après dîner, nous allons visiter celui de la Chine; malgré nos laissez-passer, nous attendons une heure. Mais magnifique pavillon à tous les points de vue; la présentation sur l’environnement ne peut laisser indifférent et il nous semble réellement que la Chine commence à souffrir et à être consciente des problèmes croissants de pollution. Parfois kitsch comme cette ballade en wagon qui fait penser à une copie de « This small small world » de Disneyland, mais aussi sublime comme cette fresque animée de près de 100 mètres reproduisant des scènes de la vie de la Chine ancienne telle qu’on la voit reproduite sur les vieilles peintures et qu’on peut retrouver dans les villages anciens que nous avons visité. Cela seul vaut une journée entière à attendre pour la voir…
Et puis l’Inde avec un pavillon qui extérieurement se voudrait original, mais dont l’intérieur composé surtout de boutiques nous rappelait Connaught Circle à Dehli. Une chance qu’il y avait à l’extérieur un beau spectacle de danses traditionnelles hindoues.
Nous quittons vers 16 :00 heures, et décidons de laisser tomber la dernière journée prévue de visite de l’expo, même si les billets sont déjà achetés. Nous les laisserons en partant à notre femme de chambre. Je ne sais si c’est réellement l’expo qui est nulle ou l’image nostalgique de 1967 qui dilue tout, mais au moins Shanghai vaut mille expos…
Nous faisons une croisière sur le Hangshou pour admirer Shanghai, et surtout les tours vertigineuses du quartier Pudong illuminé. Magnifique…
Et nous rentrons prendre un bon repas à notre hôtel pour fêter en ce 12 mai notre 37ème anniversaire de mariage.
Mercredi, 12 mai
De bon matin , nous réservons à l’hôtel des billets de train pour visiter le lendemain Hangzhou, la ville de villégiature de Shanghai. Et j’apprends que je me suis trompé de date, et que notre anniversaire de mariage continue donc de plus belle…
Nous profitons de cette belle journée pour aller visiter la ville du XXIème siècle et ses magnifiques gratte-ciel, quelquefois un peu kitsch, mais au moins presque tous différents les uns des autres, pas limités à des boites rectangulaires. Et il y a aussi de très réelles réussites comme le Ji Mao, longtemps le plus haut du monde et d’une légèreté incroyable. De la dentelle…
Jeudi, 13 mai
Nous prenons le TGV pour Hangzhou; très confortable, malgré le fait que nous sommes en 2ème…
Le lac et les alentours de Hangzhou sont superbes, même s’ils sont noyés sous une pluie et une brume qui en cachent une bonne partie. Des parcs, des édifices classiques, des petits ponts, des arbres magnifiques, des fleurs de toutes les formes et couleurs. Nous nous étonnons toujours de la capacité des chinois de préserver de si magnifiques parcs et jardins dans des villes aussi énormes; remarquez cependant que Hangzhou n’est qu’une petite ville de 2 millions d’habitants.
Nous devons reprendre notre train à 17 :30 heures. Nous ne prenons aucune chance, et essayons d’attraper un taxi dès 4 heures pour nous rendre à la gare. Mystère des taxis chinois qui souvent refusent de nous prendre selon la destination où nous allons; Marie croit que compte tenu des faibles tarifs auxquels ils sont contraints, parfois ils ne prennent que les longues distances, parfois ils refusent d’aller dans des zones plus « congestionnées ». Et c’est le cas aujourd’hui. Mais le temps passe et nous risquons de manquer notre train.
On nous indique l’autobus de ville à prendre; nous y montons de force, tant il est plein à cause de la pluie. Tour à tour Marie et moi sommes écrasés entre la porte qui ouvre et le réceptacle de billets (pourtant personne ne peut monter, car on ne peut même plus respirer tant nous sommes collés les uns aux autres). L’autobus se désengorge lentement et nous pouvons « avancer en arrière » selon l’expression montréalaise; nous ne voyons rien à travers les vitres embuées, et ne savons ni où nous sommes ni où nous devons descendre. Nous nous renseignons auprès de nos voisins; premièrement ils se contredisent, et notre connaissance assez limitée (plutôt complètement nulle) du mandarin ne nous permet pas de comprendre leur message. Finalement, une jeune femme parlant un très bon français, pourtant appris à Shanghai, nous aidera et nous indiquera comment nous rendre à notre train. Comme elle-même s’y rend, elle nous offre de la suivre elle et son mari.
Les chinois sont généralement très chaleureux et prêts à nous aider. Beaucoup moins réservés que les vietnamiens, ils sont moins polis, mais aussi moins obséquieux. Aucun complexe vis-à-vis les occidentaux… Mais, et tant pis pour l’image de l’oriental insondable et mystérieux, ils sont exubérants, aiment rire, et sont souvent « soupe-au-lait ». Ils n’ont pas que les nouilles en commun avec les italiens, même s’ils ne gesticulent pas autant.
Par contre, on repassera pour le civisme; on pousse, on passe devant comme si sa vie en dépendait, même dans des endroits comme les avions où les places sont assignées d’avance. Et les automobilistes, et encore plus les cyclistes et motocyclistes, ont des droits qui font fi des piétons calculés comme inexistants; les feux rouges, ce ne sont que pour les piétons…
Et leurs goûts s’étendent du plus grand raffinement au kitsch intégral.
Vendredi, 14 mai
Nous avions des projets pour faire une foule de choses en cette dernière journée de ce périple. Nous avons visité le Musée de Shanghai, et rapidement la place du peuple dont il est partie. Rien à voir avec Tienanmen à Beijing; une magnifique place, de beaux édifices et des jardins en fleurs…
Le Musée est d’une architecture particulière imitant les réceptacles de bronze anciens. Le contenu en fait un des plus beaux du monde, du moins de ceux que nous avons vus. Des bronzes remontant à 4800 ans avant JC, de plus en plus magnifiques… Des œuvres qui questionnent notre prétention occidentale à la grande civilisation. Des porcelaines d’une finesse et d’une beauté inégalables; d’ailleurs, c’est un jésuite qui en a volé le secret de fabrication et qui est à l’origine des Saxe et des Limoges.
Et des jades, certains très anciens d’une complexité incroyable. Et des peintures anciennes alliant la poésie et la musique, et surtout dégageant une sérénité remarquable.
Nous retrouvons dans ce musée une bonne partie de l’atmosphère que nous avions souvent constaté dans les petites villes et les villages, une culture proprement chinoise qui survit et se maintient malgré l’occidentalisation croissante. Cette visite fût en quelque sorte une sorte d’apothéose à notre merveilleux voyage. Nous n’avons pas eu le temps de faire autre chose finalement.
Nous avions adoré notre voyage au Vietnam et en Asie du Sud-est l’an dernier; nous revenons encore plus enthousiastes de ce voyage au pays du Lotus Bleu.
Samedi, 15 mai
Une journée de 36 heures, puisque nous remontons de 12 heures dans le temps. Je termine ce carnet de voyage quelque part au-dessus du pôle.
Je suis à la fois triste de terminer un si beau voyage, et heureux de tous vous revoir.
Et au prochain voyage si je ne vous ai pas trop ennuyés avec ces notes…