De Cordoba à Salta…
24-26 février
Nous sommes arrivés le soir après un long trajet de plus de 600 kilomètres en autobus « local » : nous avions oublié de poser les bonnes questions à cette compagnie d’autobus
qui nous avait pourtant été référée par le bureau d’information du terminal d’autobus. Évidemment, nous avons eu l’avantage d’être à la première rangée de sièges, au deuxième étage de l’autobus, et nous avons donc bénéficié d’une vue imprenable… sur la pluie qui tombe toute la journée sur la pampa très fertile de la région. Plat, ennuyant, et nous visitons tous les terminaux d’autobus des innombrables petites villes qui sillonnent le parcours.
Un mot sur les « terminales de omnibus » en Argentine; dans les grandes villes comme Cordoba, il part ou arrive plusieurs autobus à la minute. Des autobus
confortables à deux étages pour le longues et moyennes distances, avec sièges
semi-cama (qui s’inclinent beaucoup plus que ceux d’un avion, cama (s’inclinent
complètement à l’horizontale) et première classe (cama ou semi-cama avec encore plus
d’espace), « con servicio » (repas comme dans les avions, une glacière pleine de boissons gazeuses et eaux minérales, distributrice de thé-café). Les terminaux sont pleins de
voyageurs arrivant et partant, et tout est à l’heure, très efficace. Les sièges les plus confortables reviennent pour les étrangers à un quart du prix du billet d’avion sur la même distance.
Nous ferons le voyage à côté d’un couple de lesbiennes (dont une canadienne semble-t-il) qui se sentiront très à l’aise de se minoucher pendant tout le voyage. Si j’en parle,
c’est que la société argentine me semble sur ce point assez libertaire. J’avais remarqué la même chose entre un couple d’hommes gais lorsque nous étions allés à l’excursion de l’Aconcagua ; il y avait beaucoup de tendresse entre ces hommes, quelque chose qu’on voit
d’ailleurs peu exprimé publiquement chez les gais généralement. Remarquez que c’est aussi justement le pays de « Le baiser de la femme araignée », le tendre et magnifique roman de Manual Puig sur l’amour homosexuel.
Arrivés en soirée à Cordoba, nous sommes logés pour la première fois de ce voyage dans un hôtel de type « Holiday Inn », alea des réservations de dernière minute des trajets impromptus ; mais les gens sont gentils et prévenants, comme toujours en Argentine, nous faisant oublier la froideur de ce type d’hôtel, et ils nous orientent immédiatement vers une parilla populaire, où la bouffe est bonne et pas trop chère.
Dans sa volonté de copier l’Europe et surtout Paris, l’Argentine n’a pas su conserver son caractère colonial espagnol comme le Mexique par exemple. Mais il subsiste de magnifiques édifices de cette époque à Cordoba, la deuxième ville du pays : l’université, créée par les jésuites en 1613, est magnifique. Et, horreur pour nos amis physiciens et biologistes, il y a la « Facultad des Ciencas exactas, fisicas y naturales »; hors des mathématiques donc, point de certitude, point de salut… Non exactes, les sciences physiques et biologiques n’ont même pas le mérite d’être « humaines »… Mais trêve de ces plaisanteries, Cordoba est une ville universitaire qui a un rayonnement pan-américain et qui a une des rares universités publiques « prestigieuses » en Argentine.
L’église des jésuites aussi est splendide; malheureusement, nous ne pourrons voir celle des carmélites en restauration. Et près de la cathédrale plus récente, mais qui a conservé le style de l’époque, le Cabillo ou ancien siège du gouvernement colonial est impressionnant.
La grande place serait absolument remarquable si seulement… Sans souci d’urbanisme,
on a laissé détruire de vieux bâtiments pour les remplacer par d’horribles blocs de béton gris. C’est vrai partout dans la ville où de splendides édifices côtoient des HLM ou des commerces affreusement et uniquement utilitaires.
Cependant, de nombreuses rues piétonnes entourent la grande place et sont très vivantes de jour, sur semaine. Mais dès que les « tiendas » ferment vers 22 :30 heures, les vendeurs de pacotilles diverses arrivent et s’installent sur les dites rues; il en est de même le samedi en après-midi et le dimanche alors que les commerces réguliers sont fermés. Une économie parallèle s’installe, mais dans un centre-ville passablement désert.
Pour la première fois depuis le début de notre voyage, nous constatons que la population est moins uniformément de type européen; elle commence à être plus métissée. Ainsi, la jeune guide qui nous a fait visiter une partie des vieux édifices avait des traits amérindiens très marqués. Dans le Sud, les indiens ont été complètement exterminés; alors tout est blanc. Malgré ce qu’on peut penser d’eux parfois, les jésuites, en les convertissant, ont contribué à protéger un peu plus les indiens du Nord.
Cordoba est une ville qui demeure charmante, qui a un rythme provincial beaucoup plus lent que Buenos Aires. Les églises y sont assez occupées, comme souvent en dehors
de Buenos Aires. On y voit même des jeunes et des hommes y faire leurs dévotions, ce qui est plutôt rare chez nous; on y rencontre aussi des prêtres et des sœurs… Même les touristes argentins y vont de leur petit signe de croix à l’eau bénite dans les églises qu’ils visitent. Les amérindiens pratiquent encore plus, même si leurs rites sont parfois
mêlés de traditions culturelles non chrétiennes; par contre, je n’ai pas vu, sauf à Iguaçu, de
manifestation évidente de la présence grandissante des églises évangélistes
américaines supposément en pleine croissance en Amérique latine.
Changement de sujet, les chiens pullulent en Argentine; il doit y avoir deux à trois cabots par tête de pipe… De Paris, on n’a pas uniquement copié les édifices, mais aussi les trottoirs merdiques d’il y a quelques années. Il faut garder les yeux humblement baissés lorsqu’on déambule. D’ailleurs, plusieurs de ces chiens semblent dénués de maître, surtout en campagne; peu agressifs à l’égard des humains de façon générale, ils socialisent partout entre eux, mais les batailles sont aussi fréquentes. J’ai une théorie personnelle sur
leur grand nombre : compte tenu du régime argentin essentiellement carnivore, ces chiens disposent de façon aisée des résidus de table. Ils s’occupent de façon économique des déchets organiques, mais ils en produisent d’autres qui rendent les trottoirs dangereux; rien ne se perd, rien ne se crée…
27 février 201
Aujourd’hui, alors que nous prendrons plus tard l’autobus de nuit pour Salta, nous faisons une excursion guidée dans les estancias jésuitiques des environs. La visite se fait en
anglais, conjointement avec un couple breton sympathique; notre guide, Xavier (prononcer Habière), est un archéologue des environs de la cinquantaine qui a perdu son emploi suite aux coupures budgétaires qui ont suivi les crises financières des années 2000; ses propos étaient très intéressants, passionnants même. Et avec un humour…
Il nous explique longuement la logique qui a présidé à ces magnifiques domaines. L’évêque de Cordoba demande alors aux jésuites d’établir une grande université, mais il n’a pas d’argent pour la financer; il leur concède donc des terres que ceux-ci administreront de façon moderne et efficace. Le début de la mondialisation économique nous dit Xavier; ainsi, dans une estancia ont cultive blé, maïs, légumes et tutti quanti qu’on vend partout en assurant le transport avec des mules. Puis dans une autre ont
fait l’élevage de mules avec des troupeaux sélectionnés d’âne et de chevaux, et dans une troisième, on dresse ces mules qu’on exporte à travers l’Amérique du Sud, dans l’empire espagnol du temps.
Et la main d’œuvre est soi indigène convertie, soit composée en été des étudiants des universités qui viennent alors habiter les estancias et aider à leur développement. Rien ne
se crée, rien ne se perd… Mais cette grande réussite économique attisera la convoitise du roi d’Espagne qui les chassera de son empire pour s’en approprier les richesses.
Nous avons visité deux estancias et l’église d’une troisième estancia qui, privée, ne se laisse pas visiter facilement ; devant notre étonnement de ce qu’elle soit ainsi privée, notre guide
défend quand même cette situation car, dit-il, « le manque de financement public les condamne autrement au délabrement ». Ce sont de magnifiques établissements, et ce
fût une des journées les plus instructives de notre voyage, ne serait-ce que de se faire expliquer par un professionnel les relations ambigües des jésuites avec les indigènes. Ils les ont protégés des abus civils, mais en même temps ils les ont éduqués dans la soumission à une église toute puissante illustrée par des églises forteresses et des statues de saints qui faisaient ressortir plus la puissance que la compassion. C’est pourquoi nous verrons par exemple une statue d’une martyre qui avait été décapitée avec quand même évidemment sa tête sur les épaules, mais aussi à ses pieds la tête de son tortionnaire.
La sainteté ne doit pas être vue comme une faiblesse, et comme le soulignait Marie, tendre l’autre joue n’était pas tellement en vogue…
28 février, 1er, 5 et 8 mars
Salta, la jolie ville du nord-ouest argentin. Salta, la métissée, Salta la coloniale… A 1200
mètres, et avec une population de près de 500,000 habitants, Salta est la quintessence d’une très jolie ville de province. Elle est la porte d’entrée du nord-ouest montagneux, des pueblos amérindiens des montagnes et de l’altiplano. Les édifices coloniaux de Salta ne peuvent rivaliser avec ceux de Cordoba, mais la ville est beaucoup plus harmonieuse : même les édifices modernes de la Plaza 9 de Julio ont soit mieux respecté, soit
mieux mis-en-valeur l’architecture existante. Et les beaux petits balcons un peu partout…
D’ailleurs, nous y habiterons lors de 3 séjours différents, dont deux fois dans un B&B sympathique (Bloomers B&B) où nous logions dans une chambre avec un petit balcon donnant sur une cour intérieure. L’autre séjour a eu lieu dans une grande maison coloniale, avec une grande chambre traditionnellement meublée, mais plus sombre.
Quelques beaux musées, dont le Musée archéologique de la haute montagne qui contient une des momies d’une jeune enfant sacrifiée par les prêtres Incas et retrouvée sur le sommet d’un volcan de 6000 mètres. Outre la momie comme telle, une belle présentation de la courte histoire de l’empire Inca qui a eu le malheur d’apparaître tard, vers 1400, juste avant l’arrivée des Conquistadores. Malheureusement, la momie sert plus de prétexte au prix d’entrée qu’à autre chose…
Et le Museo de arte etnico americano : petit musée privé, avec de beaux objets mais surtout Diego, un conservateur-guide têteux, verbomoteur, et j’en passe : « Look my friends ! Very very special !.. ». Un français visitait avec nous et le fou rire menaçait sans cesse. Mais nous y avons appris certaines choses qui complétaient des connaissances acquises antérieurement; ainsi, à Uquia, petit village au nord de Salta que nous visiterons ultérieurement, l’église contient des peintures d’anges « européens » armés de fusils, préparés semble-t-il à défendre les indigènes contre les ennemis. Les anges avec un visage amérindien n’avaient pas de telles armes… Et tous furent, réalisés par des autochtones.
Touristique Salta ? Certes, mais tellement agréable et jolie…
Cependant, difficile d’y manger avant 21 :00 heures; non seulement on ne veut pas nous servir si on s’y présente, mais la plupart des établissements sont fermés jusqu’à cette
heure. Il n’y a rien de spécial du côté culinaire (comme d’ailleurs à peu près partout en Argentine), mais on peut y bouffer dans de petites peñas où nous pouvons bénéficier d’un souper en musique pour le même prix qu’ailleurs; les artistes se financent en grande partie en vendant des CD « maison » à ne pas introduire dans les lecteurs des automobiles bon marché: trop minces, ils y restent coincés. Et les efforts pour les en extirper les abiment…
Album-photos: (Afficher Diaporama pour photos pleine grande):
Musique: Soledad:Postor Morir de Amor 02 Mi Primer Adios