Nous quittons Granada tôt le matin du lendemain des festivités entourant les noces pour San Carlos et la jungle sur les rives du Rio San Juan. Notre GPS fonctionne bien et nous empruntons une route qui vient d’être inaugurée dans sa dernière section; nous devrons rouler plus de 300 kilomètres et ensuite nous payer une couple d’heures en barque pour atteindre le Sabalos Lodge. La journée est belle et le paysage s’annonce montagneux alors que nous longerons tout le côté est de l’immense lac Cocibolca.
Mais tout d’abord, nous devons passer dans les environs de Masaya et ensuite de Managua
pour rejoindre la route. A un moment donné, la voiture qui nous précède freine brusquement pour faire monter des gens; je l’évite de justesse en la contournant par sa gauche, empiétant malheureusement un tout petit peu sur la ligne pleine au milieu de la chaussée; aucun dommage puisqu’aucune voiture ne venait en sens inverse et que la vitesse était quand même restreinte (environ 40 kilomètres/heure), et d’ailleurs la voiture qui nous suit doit faire la même manœuvre. Malheureusement, un agent de la circulation veillait au grain et nous fait signe, à nous et à la voiture qui nous suivait, de nous ranger sur l’accotement. Je sors mes papiers, Marie et moi nous discutons avec lui; il nous dit que la contravention pour le dépassement en zone interdite est de 400 Cordobas, soit environ 20$US (on est loin du 100$US du premier agent) et qu’il nous faudra payer dans une banque et revenir chercher mon permis de conduire. Mais nous argumentons que nous n’avons pas dépassé mais simplement évité la voiture qui s’est arrêtée brusquement devant. Il nous questionne sur notre nationalité, la date de notre arrivée au pays, notre destination pour la journée, etc. Il nous fait un petit discours sur la dangereuse manœuvre que constitue le franchissement d’une la ligne pleine et l’amende habituelle de 400 Cordobas, et me tend mes papiers; Marie et moi avons compris qu’il faut lui payer directement la contravention. Je sors mon portefeuille pour le payer, mais il nous fait signe que non, que c’est son « corazon » qui lui indique de nous laisser partir sans contravention. Ouf ! Un zélé honnête au grand cœur; d’ailleurs, il laissera aussi filer la voiture qui nous suivait un peu plus tard.
Nous poursuivons donc notre route dans un magnifique paysage (quoique moins
spectaculaire que le centre du Costa Rica) ; à mi-chemin, nous faisons le plein et téléphonons à notre contact du Sabalos Lodge pour lui dire où nous sommes et le prévenir de notre arrivée afin qu’il nous réserve des places dans une embarcation; il nous demande si nous voulons un transport privé (90$US, 1 :15 heure) ou le Collectivo (6$US, 2 :30 heures). On choisi évidemment le Collectivo, plus « couleur locale », d’autant plus que nous ne sommes pas si pressés…
En arrivant à San Carlos, on nous téléphone justement pour nous demander où nous sommes et nous avertir qu’il n’y a plus de place sur le Collectivo. Nous les rejoignons et rencontrons donc le proprio de l’auberge, un vieux militant sandiniste très loquace semble-t-il, et très chaleureux, qui nous indique qu’il va nous prendre à son bord pour le voyage vers le Lodge au prix du Collectivo et qu’il partira deux heures plus tard; nous en profitons pour aller casser la croûte dans un resto-terrasse qui domine la naissance du Rio San Juan à l’extrémité du lac. La bouffe est quelconque, mais les gens sympathiques et le paysage à l’avenant. Et nous nous baladons dans les environs, San Carlos étant une ville frontière qui ne connait une route facilement carrossable que depuis moins d’un an. Un peu village Far West à la sud-américaine…
Nous laisserons le Mahindra dans un stationnement surveillé au prix exorbitant de 3$US
par jour ! Et c’est le départ sur le fleuve…et ça va vite. Les berges défilent à une vitesse effarante, mais nous pouvons quand même contempler la jungle qui les bordent, les oiseaux aquatiques partout présents, les pueblos pauvres, mais proprets, et les petites huttes qui parsèment le cours du fleuve. Un voyage passionnant…
Nous nous arrêtons brièvement au confluent du San Juan et du Sabalos, un petit cours d’eau navigable qui donne son nom au village Boca de Sabalos. Magnifique paysage au soleil couchant… Et nous repartons pour nous arrêter devant le Sabalos Lodge quelques
minutes plus tard. L’émerveillement de voir ces huttes sur pilotis à cheval sur la terre ferme et le fleuve au courant très rapide…
Accueil chaleureux, prompte inscription et choix d’une excursion pour lendemain. Et nous prenons possession de nos quartiers, la Cabaña de Jane : sur pilotis, une chambre complètement ouverte sur le fleuve avec un lit double entouré d’une moustiquaire, un patio avec deux hamacs aussi ouvert sur le fleuve
et une petite salle de bain avec douche; évidemment, oubliez la TV, la radio, le WiFi , les ventilateurs ou l’AC, et les restos dans les environs… Nous y contemplons calmement l’arrivée de la nuit sur le fleuve et la jungle environnante et l’apaisement du vacarme des oiseaux aquatiques. C’est à la fois impressionnant et très serein que de vivre ainsi la lente progression de la nuit…
Après un souper rapide dans une hutte ouverte sur la jungle environnante, nous nous réfugierons à nouveau dans la Cabaña de Jane pour profiter du calme de la nuit sur le fleuve; calme malheureusement quelque peu perturbé par un groupe de jeunes backpackers qui parleront et s’amuseront assez tard dans la nuit. Évidemment, on peut utiliser nos bouchons anti-minarets (ou anti-clochers au Nicaragua) pour atténuer ces bruits; mais nous ne profitons plus alors des bruits environnants de la jungle la nuit. Heureusement, ce groupe partira le lendemain matin et les petits-enfants du proprio qui les remplaceront le soir termineront plus tôt.
Nous nous réveillons soudainement au petit matin avec une sérénade cacophonique grandiose des oiseaux aquatiques qui s’éveillent en face et autour de notre hutte, remplacée un quart d’heure plus tard par le hurlement des singes Congo (ou hurleurs). Petit déjeuner rapide, et départ en barque avec un guide local pour notre excursion qui durera une grande partie de la journée.
Le lever du soleil sur la jungle, encore nappée de brouillard par endroits, est sublime vu du Rio San Juan, dans une barque qui n’essaie pas de battre des records de vitesse. Huttes et petits pueblos apparaissent de temps à autres, de même que de rares haciendas ou hôtels touristiques. Oiseaux et singes sont aussi très visibles.
Notre premier arrêt est à la Réserve biologique Poco Sol. Nous enfilons de grosses bottes de caoutchouc et suivons notre guide dans la jungle pluviale environnante pendant près
deux heures d’une marche difficile, parfois exténuante, dans une boue souvent profonde qui menace d’aspirer nos bottes; je crains souvent de tomber. Essayez de grimper des pentes abruptes, couvertes de boue, avec de lourdes bottes et une caméra dispendieuse dans les mains ! Les limites aventureuses de notre voyage, si on fait exception des agents de la circulation. Et je suis très heureux que notre guide aide Marie dans les passages difficiles, car je peine à m’occuper de moi-même.
Malheureusement, malgré la boue environnante, nous sommes à la saison sèche et nous verrons une foule d’herbes et autres plantes médicinales, des arbres magnifiques, mais pas d’orchidées, peu de fleurs ou d’oiseaux exotiques; le bon côté est qu’il y a peu de moustiques, et que notre « Deep Forest » suffit amplement. Véronique et Danilo y étaient allés durant la saison des pluies, et ces bestioles les avaient harassés sans cesse, rendant finalement la visite désagréable.
Puis, reprenant la barque, nous continuons notre périple vers le village de El Castillo dont la forteresse surplombe un coude du fleuve où les rapides sont assez impressionnants. En bas de la falaise s’étend un joli village piétonnier, car les gens ont voulu conserver les ruelles étroites qui le traversent ; mais sans grand mérite, car le trafic est surtout fluvial !…
La « Fortaleza de la Limpia Pura y Immaculada Concepcion » a été érigée au XVIIème pour contrer les continuelles invasions des pirates et flibustiers britanniques des Caraïbes vers le lac Cocibolca et surtout Granada. Érigée sur une falaise et dominant les rapides « Raudal el Diablo », cette forteresse a même servi récemment dans les années ’80 lors de batailles sanglantes entre Contras et Sandinistes. Mais personnellement, même si je ne suis pas très porté vers ces ouvrages militaires, j’ai beaucoup admiré le point de vue sur la jungle jusqu’aux lointaines montagnes du centre du pays.
La visite du village a été beaucoup plus intéressante; petites maisonnettes toutes propres, des enfants partout qui s’amusent en cette période de l’année qui est celle de grandes vacances scolaires, des petites rues en pavés, piétonnes ou pour des charrettes, des cultures aux alentours, la place centrale et le débarcadère et surtout le fleuve omniprésent. Et nous nous restaurerons, dans une terrasse surplombant les rapides, avec de magnifiques écrevisses qu’on nomme là-bas crevettes d’eau douce; un peu cher selon les termes nicaraguayens, mais à 35$US pour deux, on ne boude pas son plaisir.
Et ce sera le retour vers note « Lodge » avec l’observation plus attentive de la flore et de la faune environnante; nous verrons même un grand caïman dormant au soleil sur la berge et un énorme iguane accroché au faîte d’un arbre. Il faut cependant souligner que notre guide avait les yeux et le nez pour apercevoir de loin ces animaux qui, pour nous, semblaient se fondre complètement dans le décor.
De retour au Lodge vers la fin de l’après-midi, nous découvrons des enfants et pré-ados, petits
enfants en vacances du proprio, plonger du quai dans le fleuve au courant très rapide (probablement près d’un mètre à la seconde), se laisser glisser une trentaine de mètres et s’accrocher alors à de vielles chambres à air retenues au quai par des câbles. Dès qu’ils quittent, Marie et moi nous empressons de faire de même; le plus difficile est de tirer sur les câbles pour revenir au quai à contrecourant, car il est inutile de songer à nager, sinon pour diriger notre descente du courant vers la rive ou les chambres à air. Je donne un truc à Marie pour faciliter la chose, mais lui explique mal comment procéder et elle dépassera les chambres à air pour aboutir à un petit bosquet plus en aval à quelques mètres de la rive; je réussirai à la sortir de ce mauvais pas en décrochant une des chambres air et en la lui tendant jusqu’à sa fâcheuse position. Malgé cela, l’expérience est très agréable compte tenu de la chaleur suffocante de cette fin d’après-midi et nous la répéterons avec joie le lendemain. Il y a un petit frisson à se jeter dans ce courant très fort et de se laisser descendre à grande vitesse vers nos bouées de fortune!
Au souper, nous ne sommes qu’une dizaine de personnes; la bouffe n’est pas géniale, mais le reste est irréprochable. En plus, ce soir-là le proprio est heureux de nous faire servir du poisson (nous avions eu le choix le matin et nous avions opté pour le poisson au lieu du poulet, croyant qu’il venait du fleuve) provenant de la mer et très frais; mais c’est un poisson à chair foncée (ex. : maquereau) que Marie et moi n’aimons réellement pas. D’autres apprécient le font savoir alors que nous ne touchons que peu à nos assiettes; nous expliquons le pourquoi en nous excusant. Le proprio ne nous fera payer qu’un repas au lieu des deux.
Le lendemain, nous avons opté pour la farniente. Après le réveil forcé, mais agréable, par les oiseaux et les singes, et un petit déjeuner rapide, nous nous promenons sur le terrain du Sabalos Lodge; magnifique, plein de fleurs et de petites mares à grenouilles et peuplé par les singes dans les grands arbres. Vers la fin de la matinée, nous décidons d’emprunter
un sentier qui traverse des champs et des boisés et qui se rend au petit village très vivant de Boca de Sabalos. Malheureusement, le dîner se passera dans un resto où la famille semble s’être querellée et où ils se font et nous font la gueule !
Nous continuons de flâner un peu près du débarcadère un certain temps et entreprenons alors notre retour vers le Lodge; mais nous croisons un vieil employé du Sabalos Lodge, Juan, qui revient à l’embarcadère avec des marchandises sur l’épaule pour les transporter dans sa barque. Il nous offre de revenir avec lui par la voie fluviale; Marie accepte, mais je préfère la petite randonnée à travers le pays malgré la chaleur. Et nous finissons cette journée dans le calme, avec cependant la baignade excitante dans le fleuve au fort courant.
Ce séjour dans la jungle conserve encore aujourd’hui un charme incroyable: rien de spectaculaire, mais une quiétude très enracinée dans la nature. Un rythme de vie qui s’écoule sans soubresaut, empreint d’une très grande sérénité. Le simple fait de lire sur le patio de la hutte, dans nos hamacs qui semblent flotter au-dessus du fleuve, demeure pour moi un des grands moments de ce voyage. Ce fût peut-être un peu bref finalement !…
Nous quittons tôt le lendemain matin par le Collectivo, qui se remplit g
raduellement avant d’arriver à San Carlos, en arrêtant partout où quelqu’un lui fait signe qu’il veut monter. Au lieu de l’heure et quart pour l’aller, le retour prendra donc deux heures et demie. Mais qu’importe, c’est beaucoup plus vivant de voyager avec ces familles aux innombrables enfants… Finalement, la route du retour vers Granada s’effectuera aussi très facilement sans l’ombre d’un agent de la circulation, donc sans danger.
Vous pouvez voir les photos de cette étape de notre voyage en Ctl-cliquant sur le lien suivant:
SÉRÉNADES CACOPHONIQUES DANS LA JUNGLE NICARAGUAYENNE
en écoutant ce magnifique chant qui parle d’une jeune fille, d’amour et de liberté en Ctl-cliquant sur le lien suivant : Carlos Mejia Godoy Muchacha Del Frente Sandinista.