«MINGALA BA !»
DE BIRMANIE (MYANMAR)
Nous sommes arrivés à Yangon, capitale de la Birmanie (j’ai choisi d’utiliser ce nom, plutôt que
celui de Myanmar adopté par la junte gouvernante, car il vient de l’ancien Bamar, terme populaire désignant la Birmanie) sur l’heure du midi après un court vol de Bangkok. Un chauffeur nous attendait pour nous mener à notre hôtel assez « ordinaire », mais peu dispendieux (et donc non propriété de la junte et ses amis) et dont la clientèle était surtout composée de chinois; alors l’anglais y était assez approximatif. Là s’arrêtaient aussi les pré-arrangements de notre voyage à partir de Montréal.
En fait, j’avais réservé trois nuits, soit deux jours complets pour visiter un peu la ville et préparer la suite de notre séjour dans ce pays. Le Routard et le Lonely Planet n’étant ni l’un ni l’autre dithyrambiques à propos de Yangon, nous avons alors vite perçu qu’une journée serait bien suffisante pour la visite de la ville et aussi constaté qu’il était très aisé d’organiser le reste de notre périple par l’internet; nous avons donc immédiatement réservé des places sur un vol pour le Lac Inle le surlendemain. Et nous avons avisé l’hôtel que même si nous avions payé d’avance pour trois nuits, nous ne demeurerions que deux nuits; première surprise, ils nous ont immédiatement remboursé la troisième nuit sans même que j’ose le demander. En fait, jamais nous n’avons eu de problèmes d’arnaque ou autres tentatives du genre en Birmanie; et nous n’avons pas non plus entendu parler de telles choses de d’autres touristes. A la lumière de la Commission Charbonneau, l’intégrité est plus une vertu birmane que québécoise contrairement à ce qu’avançait récemment un ministre québécois…
D’autres surprises nous attendaient pendant notre bref séjour à Yangon. Tout d’abord, nous n’avons pas vu de militaires à Yangon, et à peu près nulle part ailleurs en Birmanie; pourtant, le budget de l’armée est équivalent à plus de 50% du PNB ! Ensuite, contrairement à ce que les Guides de voyage indiquaient et à ce que des connaissances qui avaient été très récemment dans ce pays nous avaient dit, on préférait les Kyats$(birmans) aux dollars$US; et si la plupart des petits établissements n’acceptaient pas les cartes de crédit, les réservations par des agences internet comme « Agoda », le « Booking.com » de l’Asie, nous offraient une vaste gamme d’hôtels de tous les prix et permettaient le paiement avec la carte Visa. Certaines personnes nous avait aussi beaucoup prévenu du le coût élevé des hôtels, mais peut-être parce que nous étions à la fin de la haute saison, nous avons toujours payé moins de 100$US la nuit, même dans les beaux hôtels du lac Inle et de Bagan. Et il y a même des guichets bancaires dans les grandes villes, ce qui fait que les 4000$US comptants en billets neufs que nous nous étions procurés au départ sont en grande partie revenus au pays !
En fait, la Birmanie change à un rythme effarant; espérons seulement que la démocratie s’y installe
réellement et que Aung San Suu Kyi, dont les portraits sont affichés partout, retrouve un peu de la capacité de rassemblement qui caractérisait le fondateur et libérateur de la Birmanie moderne, son père Aung San, assassiné par des paramilitaires armés par les britanniques. Même lors de notre séjour, des incidents violents entre la majorité birmane bouddhiste, soulevée par des agitateurs nationalistes, et des minorités musulmanes ont éclaté, près de la frontière avec le Bangladesh, mais aussi tout près
d’où nous étions entre le Lac Inle et Bagan; les relations avec les Karens (souvent chrétiens ou animistes), près de la frontière avec la Thaïlande, sont aussi tendues. C’est un pays difficile à gouverner avec plus d’une centaine d’ethnies réunies par la volonté du colonisateur britannique. Malheureusement tous les pays d’Asie, d’Europe ou d’Amérique, voient surtout ce pays comme une énorme réserve de pétrole et de pierres précieuses (saphirs et rubis) qui vaut bien quelques compromis sur les principes. Et c’est un des pays les plus religieux que j’ai vus, avec des pagodes à tous les coins de rues et des fidèles partout; à la lumière de ce qui se passe ailleurs dans le monde entre « croyants », je ne suis pas certain que cela aide à apaiser les conflits.
1.-YANGON (Rangoon)
Si Yangon vaut le détour pour tout visiteur de la
Birmanie, c’est à cause de l’immense, de l’incontournable, de la splendide pagode Shwedagon. Notre chauffeur (guide du seul fait qu’il parle un peu l’anglais et que nous n’avons pas déboursé pour les services d’un guide accrédité) nous y a menés dès le premier soir après que nous ayons procédé à nos arrangements pour le voyage au Lac Inle. Kitsch au possible, mais tellement majestueuse…
A la fois splendide et horrible, il s’agit en fait d’un immense ensemble de petits temples érigés sur la plus haute colline de la ville, autour d’un immense stupa recouvert de feuilles d’or. On y accède par quatre escaliers monumentaux aux quatre points cardinaux, certains avec escalateur ou ascenseur. Tout y est archi-propre et merveilleusement entretenu; il s’agit du plus grand et plus célèbre sanctuaire de Birmanie, un équivalent de St-Pierre de Rome.
Ce qui étonne chez les bouddhistes, c’est ce mélange de piété, de superstition et de bonhommie qu’on ne retrouve jamais chez les catholiques, les juifs ou les musulmans. Même les moines et les
nonnes se photographient entre eux devant les statues de bouddhas, de nats ou de djinns en riant et parlant très fort pendant que des fidèles prosternés récitent leurs mantras. Alors, ils ne sont jamais gênés que des touristes étrangers les visitent et les photographient. L’ambiance y est à la fois spirituelle et festive. C’est peut-être dû au fait que le Bouddha ne soit pas un Dieu contrairement au Christ, Yahvé ou Allah; mais pour la superstition et tous les artifices divers comme des cadeaux de fausse monnaie, des moulins à prière et autres « bondieuseries», on s’y surpasse. Je n’arrive pas encore à comprendre non plus comment des fidèles aussi tolérants puissent aussi se transformer en brutes sanguinaires à l’égard de fidèles de d’autres religions comme l’Islam par exemple. Et d’après ce que nous avons su de troubles récents, qui se sont déroulés pendant que nous y étions, ce ne sont pas ces derniers qui ont parti le bal !
Pour en revenir à la Shwedagon, nous avons tellement aimé l’atmosphère qui imprègne le lieu que nous y sommes retournés le deuxième et dernier soir de notre séjour à Yangon. C’est absolument magnifique de voir le crépuscule descendre lentement sur le site qui s’illumine en même temps; malgré la foule, tout y semble si paisible… Il s’en dégage une spiritualité qui nous atteint profondément, tout agnostiques que nous soyons.
Notre deuxième et dernier jour à Yangon, nous l’avons tout d’abord consacré à une lente marche
dans le centre de la ville. Il s’agit toujours de la métropole de la Birmanie, même si des oracles (et probablement un peu aussi le désir d’éloigner le gouvernement d’une population plus contestataire) ont amené le chef de la junte à transférer la capitale à Napidaw, une ville quelconque du centre du pays, sur un coup de tête en 2005. C’est pourquoi nous y croisons à Yangon d’immenses édifices, datant de l’occupation britannique, vides et à l’abandon. Il parait que Napidaw est remplie de bureaux occupés par des fonctionnaires complètement désœuvrés, mais amis ou parents de la junte. Pour en
revenir à Yangon, le centre-ville est assez banal. Nous y avons terminé une longue marche dans le grand et magnifique parc du lac Kandawgyi qui cependant contient une eau émeraude et glauque n’invitant certes pas à la baignade malgré les 38C° qui régnaient lorsque nous nous y sommes arrêtés. Mê
me ce lieu magnifique, le chef d’alors de la junte, le général Than Shwe, a réussi à le dénaturer avec un affreux restaurant, monument national et emblème du «Myanmar», l’horrible Karaweik; évidemment, nous n’y sommes pas allés nous restaurer.
Les gens que nous avons rencontrés à Yangon étaient sympathiques, charmants et n’adap
taient pas leurs prix à notre tête, même pour de objets aussi technologiques qu’une carte « SIM ». Les femmes y sont généralement très joliment vêtues et même les hommes sont élégants dans leurs longyis (moins portés pourtant à Yangon que partout ailleurs) qui accentuent leur taille généralement mince.
Souvent, femmes et enfants (parfois les hommes) portent un maquillage qui blanchit leur visage; il s’agit d’une crème (à base de bois de tanaka) qui est supposée à la fois protéger du soleil et être un artifice de beauté. La communication fût parfois difficile lorsqu’ils ne parlaient pas l’anglais, mais avec un langage gestuel tout finissait dans un sourire. Si Yangon ne vaut pas qu’on s’y attarde selon la plupart des commentaires, ses habitants et la Shwedagon valent le détour si on se rend en Birmanie.
Le lendemain, nous devions quitter assez tôt pour prendre notre avion pour Heho, l’aéroport le plus près du Lac Inle. Mais déjà 20 minutes dépassées l’heure convenue, note jeune chauffeur ne se présente toujours pas et impossible de le rejoindre sur son portable. Alors, nous demandons à un autre chauffeur près de l’hôtel de nous y amener. Soudain, alors que nous démarrons après avoir chargé les valises dans ce taxi, notre jeune chauffeur arrive en s’excusant. Mais à notre surprise, l’autre chauffeur nous transfert sans sourciller avec les valises dans la voiture du jeune chauffeur, sans même que celui-ci l’ait demandé; je n’ose penser à la prise de becs entre chauffeurs dans une telle circonstance à Montréal.
2.-LAC INLE
Nous y avions réservé une chambre dans un petit hôtel luxueux dans la petite ville qui est située sur un canal très achalandé à l’extrémité nordique du lac, Nyaungshwe; il faut savoir qu’il n’y a pas de
routes qui mènent à la quarantaine de villages qui bordent le lac et que tout le transport, personnes comme marchandises, se fait en barques. L’hôtel avait offert une couple de chambres à prix coupés sur Agoda.com; outre de magnifiques chambres sur pilotis, l’hôtel, propriété d’un français ancien gérant de l’Orient-Express, était doté d’une cuisine exceptionnelle. Nous y avons pris les meilleurs repas de notre voyage, ce qui n’est pas peu dire après la Thaïlande pourtant renommée. De plus, il était merveilleusement situé et devant nous défilaient toute la journée barques et vieux véhicules, motorisés ou pas. Un de ces hasards qui enrichissent un voyage… Nous y avons aussi organisé nos visites sur le lac avec l’hôtel qui nous a confié à un batelier à peu près unilingue birman, mais d’une gentillesse extrême. Et si nous lui disions que nous ne voulions pas visiter les éternelles boutiques, il respectait notre demande; en fait, cette attitude fût générale avec nos guides birmans.
Le premier matin, même si Marie était affectée d’une bronchite héritée probablement de notre long vol de New-York à Bangkok, nous sommes partis pour un village, In Dein, à une vingtaine de kilomètres de notre hôtel où se tenait un grand marché hebdomadaire réunissant des tribus et ethnies de tout le pourtou
r du lac. Il faut dire que sur le lac, la température est agréable; la fraîcheur de l’eau et l’altitude de 850 mètres tempèrent le soleil, féroce cependant même enveloppé de la fumée des brulis des rizières. Pour se rendre au village, nous effectuons une ballade extraordinaire sur un immense lac parsemé de villag
es sur pilotis, de jardins flottants, de temples et de quelques complexes hôteliers de luxe; et de multiples canaux menant à divers villages aboutissent à ce lac. Outre le trafic incessant des barques motorisées de transport, les pêcheurs y sont toujours présents, dont la plupart avec les filets coniques traditionnels; ils manœuvrent leur barque avec une rame arrière actionnée par le pied pour laisser leurs mains libres. Un ballet d’une beauté exceptionnelle… On dirait des danseurs classiques !
Nous quittons le lac pour nous engager dans des canaux étroits, mais
toujours patrouillés par d’innombrables barques motorisées. Nous croisons sans cesse des habitations sur pilotis et des familles qui y vivent et continuent leur train-train quotidien malgré notre passage. Et nous devons aussi très fréquemment franchir d’étroits goulots de retenue qui essaient tant bien que mal de maintenir un niveau suffisant d’eau pour permettre la navigation en cette fin de saison sèche; parfois, il faut pousser (et j’ai eu droit à des protestations lorsque je suis descendu les aider).
Nous arrivons finalement à In Dein où se tient le marché que nous allions visiter, le plus beau de la région. Même s’il y a quelques autres touristes, cela ne parait pas, car nous sommes assez peu nombreux par rapport à la
population en cette fin de haute saison. Quelques européens, la plupart voyageurs solitaires comme nous, et quelques grappes de touristes japonais et chinois. Mais même là, il ne peut y avoir d’autocars dans cette région où il n’y a pas de routes et ceux qui viennent à Nyaungshwe passent rapidement et ne viennent pas si loin sur le lac. Le marché est l’objet d’une féérie de couleurs du fait des costumes traditionnels des différentes ethnies et tribus Intha et autres ; il y avait même des femmes girafes, tribus parmi les Karens, mais je ne les ai pas vues contrairement à Marie (et c’était chronologiquement avant notre visite à Chiang Rai dans le nord de la Thaïlande).
Il y a un émerveillement et un bonheur indicibles à se promener ainsi dans les dédales d’un tel marché sans se faire harceler ou accoster pour acheter quoi que ce soit. Nous pouvons y apercevoir une vie locale authentique qui ne se soucie pas de notre présence pour peu qu’on soit nous-mêmes discrets. Mais nous sommes quand même allés dans la section plus « touristique » pour nous y procurer quelques objets d’artisanat dont une magnifique toile.
Outre le marché, ce village est aussi le site d’un m
onastère haut perché qu’on peut très bien apercevoir au loin, de vieux stupas du XVIIème siècle et d’un temple sur une haute colline. Le paysage
qu’on découvre du haut de ce temple est certes magnifique, mais les lentes ascension et descente d’un très long escalier couvert, qui mène au temple, sont encore plus remarquables; cet escalier est bordé de boutiques d’artisanat et d’objets de piété. Et puis, il y avait toute l’activité de ce village qui s’exerçait à la rivière… Et
ces femmes magnifiques qui ne cessent de bavarder, ces enfants qui courent et nagent en tous sens, ces hommes qui ont généralement un air sérieux et occupé tout en riant parfois aux éclats… En fait, je n’arrive pas à décrire tout l’émerveillement de ce lieu; les quelques photographies que j’ai affichées à la suite ce cette narration sauront probablement mieux vous le faire saisir.
Comme je vous l’ai dit, le lac Inle est parsemé de villages sur pilotis, de temples et d’ateliers
d’artisanat dont les inévitables métiers à tisser, les orfèvreries et même une petite forge sur pilotis qui rendent cependant la visite agréable à cause de l’absence de sollicitation exagérée. Une brève baignade à un établissement de sources thermales complètement désert, qui nous a occasionné une marche à pied sous une chaleur écrasante près des collines environnantes, constitue aussi un souvenir agréable. Certains temples ou monastères demeurent très intéressants à visiter même si parfois nous devenons lassés des millions de p
agodes et stupas qui, avec les moines et les nonnes, sont toujours présents dans le paysage et la vie quotidienne. Ainsi en est-il de la grande pagode Phaung-Daw U qui allie modernisme et parties antiques, grande harmonie globale et kitsch des décorations. Il est aussi étonnant de voir partout le nombre élevé de fidèles, même jeunes, qui fréquente les temples bouddhistes. De quoi rendre nos propres autorités et antiquités ecclésiales un peu jalouses…
Mais, notre séjour au lac Inle sera surtout mémorable par les promenades en
barque parmi les nombreux villages sur pilotis et les jardins flottants. Ces jardins, qui montent et descendent de niveau selon la hauteur des eaux du lac, sont des chef-d’œuvre d’ingénierie et d’agronomie artisanales. Ils sont
constitués de d’immenses tapis de jacinthes d’eau (pour le demeurant elle reste une plante particulièrement envahissante et nuisible), ancrés sur place par des poteaux de bambou, et sur lesquels on dépose du limon provenant du fond du lac et qu’on fertilise avec des algues.
On y fait pousser tous les légumes et courges présents en Birmanie et en fait le lac Inle devient la réserve de verdure de tout le pays pendant la saison sèche. Mais le travail pour maintenir ces jardins si fertiles semble harassant et son succès même (ces jardins ne cessent de s’agrandir) remet en cause l’équilibre écologique fragile de ce lac qui a perdu un tiers de sa superficie depuis 20 ans.
3.-BAGAN, L’ANTIQUE CAPITALE RELIGIEUSE
Un court vol nous a permis de quitter Nyaungshwe et les rives du lac Inle pour Bagan sans passer par la route qui nécessitait un voyage de 13 heures et qui traversait une région d’incidents très
violents entre musulmans et bouddhistes. Dès notre arrivée à l’aéroport, alors que je demande au groupe des chauffeurs de taxis présents si quelqu’un peut nous conduire à notre hôtel tout près, un jeune se présente pour ce faire; les autres semblent plutôt préférer des clients des hôtels plus éloignés de l’aéroport. Mais ce jeune chauffeur sympathique, Djeli, a bien calculé son coup et avec sa vieille bagnole louée il se doute que nous aurons besoin d’un transport entre notre hôtel luxueux (3 ou 4 étoiles) et les différents sites archéologiques éparpillés dans toute la région.
Il parle assez bien l’anglais qu’il a appris à Dubaï où il a été travailler, mais d’où il est revenu déçu des terribles conditions de travail et du racisme ambiant. Il a un B. Sc. en zoologie ! Nous lui avons demandé le but de ces études et leur utilité pour gagner sa vie: «Aucune utilité», dit-il. Mais il nous a alors confié que c’est le gouvernement (la junte) qui décide des disciplines dans lesquelles les jeunes doivent étudier (d’ailleurs son épouse a eu droit au même sort). Une façon comme une autre, selon moi, d’écarter du marché du travail rémunérateur des jeunes brillants qui pourraient concurrencer les fils et filles à papa du régime ! Djeli nous a parlé de la vie de sa famille, de son stage chez les moines comme tout jeune garçon birman et du fait qu’il l’a écourté (une semaine au lieu de deux) car il déteste se lever tôt, des revenus difficiles et incertains, etc.; il nous a aussi décrit les nuits inconfortables dans les maisons en cette saison alors que les pannes d’électricité fréquentes empêchent le fonctionnement des ventilateurs (les hôtels étant équipées de génératrices, nous avons peu connu ce problème).
Il sera la personne la plus intéressante que nous ayons rencontrée pendant tout notre voyage et ses services (avec auto) ne nous coûteront qu’environ 20$US par demi-journée avec un généreux
pourboire inclus dans ce prix. Je parle de demi-journée, car de 12 :00 à 16 :00 heures, tout s’arrête à cause de la chaleur extrême; nous en profitions alors pour nous reposer un peu à la piscine, ou pour dormir dans mon cas alors qu’une infection des ganglions, aggravée par la poussière ambiante, a transformé mon visage en demi-lune (à chacun sa bronchite !). Je croyais que la Birmanie étouffait sous une végétation luxuriante dense et humide comme dans le film « le Pont de la rivière Kwaï». Cela dépend probablement des régions, mais ce fût une désillusion en cette fin de saison sèche, poussiéreuse et chaude à Bagan.
Bagan est une cité millénaire (fin du XIème-début du XIIème siècle) où sont parsemés dans la campagne plus de 3000 temples bouddhistes. Plusieurs
sont encore très fréquentés et comme il n’y avait pas de politique pour la protection du site jusqu’à tout récemment, plusieurs on subi des transformations majeures chassant l’authenticité historique, et d’autres sont en forte décrépitude, à l’abandon. Enfin, les restaurations étant souvent faites plus pour des raisons de piété que de préservation historique, là aussi il y des erreurs. Mais si les temples eux-mêmes ont une valeur architecturale ou culturelle inégale, l’ensemble est d’une grande beauté.
Les édifices n’ont pas la complexité et la richesse ornementale de ceux d’Ankor-Wat et sont souvent plus massifs; mais ils font acte d’une grande solennité dans
ce décor aride de saison sèche. Par ailleurs, ils témoignent aussi d’une époque de foi profonde qui a eu lieu à une période contemporaine de l’édification des grandes cathédrales européennes. Notre chauffeur-guide Djelli
pouvait quand même partager ses connaissances, même si elles n’avaient pas la profondeur d’un détenteur d’un diplôme en histoire ou d’un guide accrédité. Pour le reste, nous complétions avec un bouquin acheté sur le site.
Nous avons passé deux jours, soit quatre demi-journées à visiter cet immense site, n’en voyant cependant qu’une faible partie. Je dois avouer qu’à la fin nous étions un peu las de tant de temples et monastères anciens. Mais à chaque soir, au crépuscule, tous les touristes (probablement deux ou trois cents au total ) se retrouvaient à une ou l’autre des quatre grandes pagodes dont l’ascension est permise pour contempler le coucher du soleil sur cette terre aux centaines de stupas, dômes et autres structures dépassant le faîte des acacias. Nous nous y sommes toujours présentés, malgré la fatigue de la journée et des couchers de soleil souvent bien faméliques en cette saison sèche et enfumée. Et il y avait toujours, grâce à Djeli, un petit fait qui justifiait notre présence.
Mais pendant ces journées nous avons pu aussi visiter un village traditionnel, le seul conservé dans le site du Vieux-Bagan. Le calme et la beauté des lieux, même s’ils témoignaient d’une grande pauvreté, nous ont charmés. De même en est-il d’un coucher d soleil,
magnifique celui-là, sur les berges de l’Irrawaddy. D’ailleurs, là comme ailleurs, si notre guide nous mentionnait qu’on pouvait opter pour une excursion en bateau sur le fleuve si on le désirait, jamais aucune pression ou insistance n’était appliquée lorsque nous déclinions.
Enfin, nous en avons aussi profité pour effectuer une ballade dans les environs jusqu’au temple du mont Popa. Ce dernier est situé sur le sommet d’un pic rocheux et peut faire penser aux monastères des Météores en Grèce. La vue que nous en avons en
approchant du village qui l’abrite relève de l’imagerie fantastique. Le temple lui-même est un peu quelconque, mais la longue montée des 700 marches (parfois en escalier, parfois une quasi-échelle) constitue en quelque sorte un petit pèlerinage épuisant qui valorise l’arrivée en ce lieu saint. Et si ce temple n’a pas encore été récupéré par Disney, il a introduit l’imagerie populaire de ce dernier en son sein comme en fait foi la photo ci-contre ! Kitsch, naïf ou « quétaine » ?
Outre le site lui-même, ce que nous avons surtout apprécié à Bagan est cette douceur de vivre accentuée par une langueur causée par la chaleur extrême. Nous y avons même adopté un petit resto touristique mais très sympathique, le Black Bamboo. Et surtout, l’affabilité des gens et la gentille compétence de notre jeune chauffeur-guide Djeli nous ont conquis et ont rendu notre séjour inoubliable.
4.-LA REMONTÉE DE L’IRRAWADDAY
Nous sommes partis de Bagan avant même l’aurore dans un navire ressemblant à un vieux traversier pour une croisière de 14 heures. Nous avons remonté le fleuve, au lieu de le descendre comme la majorité des touristes, jusqu’à Mandalay (34$US par personne, repas modestes inclus). Nous n’étions que huit touristes sur ce bateau qui peut en contenir près de deux cents en haute saison et pendant le périple de descente vers Bagan.
L’avion a certes le mérite de raccourcir la distance, mais elle rétrécit aussi le temps et la réalité.
C’est Claude Lévi-Strauss qui, dans «Tristes Tropiques », livre que tout pèlerin de l’exotisme (comme nous) devrait lire ne serait-ce que pour s’autocritiquer, déplorait qu’avec les transports modernes nous sommes arrivés sans avoir cheminé, sans avoir pris le temps et mis l’effort de s’adapter et de comprendre l’autre. Auparavant, le voyage marquait un changement de civilisation, en soulignant parfois un changement d’époque même, grâce à un lent périple préparatoire ou expiatoire de l’ethnocentrisme; l’avion est venue biffer cette perception du changement d’époque. La lente remontée fluviale qui nous attendait nous a permis de percevoir une Birmanie qui n’existe plus dans les lieux touristiques ou du haut des airs. Il y a très peu de mécanisation dans les cultures et l’électricité ne se rend pas toujours. Le pays est fertile. Mais la population demeure très pauvre.
Ainsi, à un moment donné, notre navire, qui est quand même un mastodonte à l’échelle d’un être
humain, s’approche par la proue du rivage et une planche y est rapidement jetée pour permettre un changement parmi les membres de l’équipage; mais le navire n’est pas ancré et seuls les moteurs le
maintiennent en place avec une petite poussée. Le matelot qui en descend distribue à un groupe d’enfants des œufs durs préparés par la cuisinière du bateau; ceux-ci se précipitent pour obtenir cette friandise. Malheureusement, un œuf échappe à l’attention et roule vers le
fleuve où un enfant se précipite pour le cueillir, risquant d’être écrasé entre la rive et le navire. Je n’ai pas de photographie de ce dernier point, car comme tous les spectateurs j’ai hurlé de peur pour l’enfant. Un œuf dur est une friandise incroyable en Birmanie où le menu quotidien est généralement composé de riz et de quelques légumes. Un peu plus tard nous accostons encore brièvement de la même manière pour ramener un jeune homme malade chez lui : le passage est payé en régimes de bananes.
Les villages se succèdent, minuscules, mais accomp
agnés presque partout d’une immense pagode; on se dirait dans le Québec rural. Et les rives sont l’objet d’une activité économique omniprésente même si elle s’effectue avec lenteur, la vitesse des transports mécanisés étant sans cesse limitée par l’apport humain. Même le navire doit se plier à cette règle, car le niveau de l’eau est à son plus bas
en cette fin de saison sèche et le risque de s’échouer sur des bancs de sable, sans cesse en déplacement, est très grand. Les bouées sont constituées de perches de bambou plantées dans le lit du fleuve ici et là, et le sonar est constitué de deux membres d’équipage qui mesurent la profondeur de l’eau à l’avant de la proue et annoncent en criant de façon continue, dans les zones critiques, la profondeur mesurée à l’aide d’une perche graduée. On n’arrête pas le progrès !…
Nous passerons à la brunante devant Sagaing la splendide et ses nombreux stupas élevés sur les collines qui l’entourent. Un paysage irréel… Et finalement, nous accosterons à Mandalay à la nuit tombée dans un navire qui n’a pas de phares pour la route et qui navigue sur un fleuve obscur, sans bouées ou autres repères. L’aventure pour nous, le quotidien pour eux…
5.-MANDALAY LA MAGNIFIQUE
Dès le lendemain matin, nous errons dans Mandalay pour trouver un guichet bancaire et nous
prenons les arrangements pour avoir un chauffeur-guide pour l’après-midi et le lendemain. Mandalay est une ville intellectuelle et religieuse, source de la dernière révolte des moines contre la junte. Mais comme nous l’avons constaté en la traversant, une nouvelle route qui la relie à la Chine a créé un boom économique et les magasins regorgent d’articles de produits de consommation de qualité « chinoise ».
De Mandalay même, nous ne visiterons que quelques temples et surtout celui sur la plus haute colline. Nous bouderons l’ancien palais royal, bâti sur le modèle des cités impériales vietnamiennes et chinoises, mais surtout consacré à abriter une garnison militaire et à faire l’apologie du gouvernement militaire dans son musée.
Le premier monument visité fût donc le Monastère Shwe Nandaw (milieu XVIIIème)en teck . Il
s’agit d’un monument d’une grande beauté et sobriété, bien qu’il soit ornementé d’innombrables sculptures. En fait, il me faisait penser aux temples en bois aussi de Katmandou, même si ces derniers étaient nettement moins sobres avec leurs sculptures érotiques. Puis ce fût la Pagode Kutodaw qui recèle 729 petits sanctuaires abritant des
chapitres du canon bouddhiste publié par le roi Mindon dont on dit que matériellement elle constitue en fait le plus gros
livre du monde. J’y découvre aussi des photos traitant de la « traite » des offrandes toujours abondantes dans les temples et monastères. Contrairement aux moines catholiques, les moines bouddhistes ne cultivent pas la terre mais se font nourrir, loger et entretenir (ils voyagent parfois en avion et ont des caméras) par la population. Les temples et monastères sont très nombreux, et ils ont sans doute une valeur marchande comme en ont ici les anciennes institutions religieuses.
Et nous avons terminé la visite de cette journée par l’ascension de la colline de Mandalay dont j’ai effectué la moitié à pied, juste pour me prouver ! Chaud, mais facile… La vue au sommet y est belle même si embrumée, mais le monument, très couru des habitants, est assez ordinaire.
Le lendemain nous avons vu et vécu une des plus remarquables journées de notre voyage. Tout
d’abord, la grande pagode Mahamuni: moins imposante que la Shwedagon de Yangon, elle s’est avérée encore beaucoup plus intéressante pour nous. Pendant toute notre visite, des familles habillées de beaux atours traditionnels venaient fêter le début du stage monial des petits garçons ou filles. Toute la famille y participe, même si seules les femmes
et les enfants portent des costumes très « étincelants ». En fait, il s’agit de l’équivalent de la première communion de notre jeunesse, mais en plus colorée. Il ne faut pas oublier dans nos jugements et préjugés ethnocentriques que seulement 50 ans nous séparent des mêmes traditions et coutumes. La plupart des boomers avons vécu ces rites.
Tout se fait dans un climat d’euphorie et les
parents nous présentaient leurs enfants vêtus de leurs plus beaux atours pour que nous les photographions. En fait, avec le maquillage, il est très difficile de distinguer les filles et les garçons si ce n’est que les filles portent un chapeau conique et les derniers une couronne. Parfois, la joie de vivre de ces bouddhistes est contagieuse au point de nous attirer, ou presque…
Et après ces cérémonies d’intronisation, nous sommes allés dans un monastère où les jeunes garçons vont faire leur stage de moines. Ils s’alignent en longues colonnes pour recevoir leur dernier repas de la journée vers 11 :00 am. Mais il y a là des cars de touristes venus comme nous voir et photographier l’évènement; cela ne semble pas troubler outre mesure les moinillons , contrairement à moi qui me sentait un peu voyeur.. J’avais toujours cru que ces moines étaient des orphelins ou des jeunes que les familles très pauvres confiaient aux monastères (en fait, ils ne sont que 10% des novices); je viens de découvrir que, du moins en Birmanie et au Laos, il s’agit en fait d’un rite d’initiation social et religieux auquel même les filles sont soumises (mais de façon moins systématique).
Et nous poursuivons notre chemin vers Sagaing la superbe, la ville aux centaines de stupas
éparpillés sur ses multiples collines. Tout d’abord, une longue montée nous attend vers la Pagode U Ponya qui domine tous les environs. Comme d’habitude, il s’agit d’un très long escalier couvert pour nous protéger du soleil ou de la pluie selon la saison. Là aussi, plus que la pagode elle-même, c’est le panorama qui justifie nos efforts.
Les collines avoisinantes sont aussi dominées par un temple et la vue sur la ville et les collines qui s’étendent jusqu’à l’Irrawaddy
est impressionnante. La montée est si longue qu’il y a en haut, outre les éternels marchands du temple, un petit resto où nous pouvons nous désaltérer avant d’entreprendre la lente mais facile descente.
Et quelques minutes plus tard, nous nous restaurerons paisiblement sur le bord de l’eau à Inwa, dans un village minuscule d’un autre siècle.
Petite traversée en barque suivie d’une ballade cahoteuse dans une calèche conduite à vive allure par une cochère très enjouée et
vivante. Ce petit coin de pays où nul véhicule moteur (sauf la barque) ne circule est parsemé de lieux archéologiques, de temples, de monastères anciens, de fortifications et autres monuments magnifiques. D’une ancienne tour de garde, nous y avons une vue imprenable sur Sagaing la superbe.
Et nous terminons cette magnifique journée par la visite du «plus grand pont de teck » au monde !
Honnêtement, ce pont qui traverse le petit lac Taungthaman et sert de
promenade, comme le pont d’Avignon de la chanson, est un peu décevant malgré ses quelques beau portiques, puisqu’il n’est constitué en majeure partie que d’une plateforme surélevée sans même de rambardes. Mais quel merveilleux spectacle que cette foule qui prend l’air au crépuscule près d’une nature qu’on dirait sortie tout droit des peintres flamands.
Ainsi s’achève cette deuxième partie de nos errances dans le triangle d’or, dans ce merveilleux pays qu’est la Birmanie. Nous en rêvions depuis longtemps, et nous n’avons certes pas été déçus. Même si les installations touristiques ne semblent pas toujours très modernes et efficaces, finalement tout se déroule très facilement, surtout grâce à la gentillesse et l’honnêteté des birmans. Ce fût finalement beaucoup plus facile que prévu.
Nous prenions l’avion le lendemain pour le nord de la Thaïlande et de là le Laos que je vous présenterai dans la dernière partie des cette chronique sur notre périple dans le Triangle d’or.
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